Tribune

Loi séparatisme : une grave atteinte aux libertés associatives

Pour un collectif d'associations et de chercheurs, ce nouveau texte, qui a pour objectif d’encadrer, contrôler et sanctionner davantage l’action associative, constitue une menace grave pour l'ensemble de leurs actions.
par des coalitions d'associations, de collectifs, de chercheur.es et d'avocat.es
publié le 21 janvier 2021 à 18h12

Tribune. Après la loi sécurité globale, le projet de loi confortant le respect des principes de la République, dite «loi séparatisme», constitue une atteinte sans précédent aux socles de notre république et menace nos libertés les plus fondamentales.

Contrairement à ce qui est avancé par ses promoteurs, ce nouveau texte liberticide ne concerne pas seulement les associations cultuelles et celles qui perçoivent des fonds publics, mais constitue une menace très grave pour l’ensemble des associations françaises. Nous, associations, collectifs, chercheur·es et avocat·es, organisés en coalition pour défendre et promouvoir les libertés associatives, tenons à alerter nos pairs, l’opinion publique et les parlementaires.

Le Conseil d'Etat l'a admis en premier : «Les mesures du projet de loi concernent pratiquement tous les droits et libertés publiques» ! Ces libertés garantissent que, au-delà du contrôle légitime de la légalité d'une association, l'Etat et ses représentants respectent l'indépendance d'action des associations. Un large pan de cette loi a pour objectif d'encadrer, contrôler et sanctionner davantage l'action associative, notamment en instituant un «contrat d'engagement républicain» (art. 10-1). Ce contrat liste au moins dix «principes républicains» qui contraindraient uniquement les associations, sans aucune forme d'engagement réciproque comme l'a justement soulevé le Mouvement associatif. Le Conseil d'Etat, en cœur avec le Défenseur des droits, souligne que ce contrat comporte des «notions sujettes à interprétations antagonistes» et des «incertitudes» qui ne manqueraient pas d'introduire de sérieux risques d'arbitraire. Par ailleurs, le Défenseur des droits s'inquiète de ce que ce projet participe d'un «renforcement global du contrôle de l'ordre social».

Des actions militantes et légitimes

Dans la droite ligne de la loi sécurité globale, qui élargit les prérogatives de police à de nouveaux acteurs, Gérald Darmanin et le gouvernement voudraient aussi faire des associations des supplétifs du ministère de l'Intérieur en insérant une clause de «sauvegarde de l'ordre public» dans le contrat républicain. Dans un contexte d'urgence et aussi de surdité des autorités aux revendications citoyennes, de plus en plus d'associations ou groupes militants ont recours à la désobéissance civile non violente qui n'a pas vocation à «sauvegarder l'ordre public». Ces actions militantes n'en restent pas moins légitimes et parfois reconnues comme telles par les tribunaux au nom de la liberté d'expression comme en attestent les relaxes de décrocheurs de portraits d'Emmanuel Macron, tout en revendiquant aussi les libertés d'opinion et de manifestation chères aux associations.

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Au-delà de ces nouvelles dispositions, se pose aussi la question de leur application. Comment éviter que les entraves institutionnelles aux activités associatives, déjà nombreuses, souvent abusives et méconnaissant le droit, ne se multiplient à l’encontre d’acteurs qui interviennent – souvent de manière critique – dans le débat public ? En octobre, l’Observatoire des libertés associatives tirait déjà la sonnette d’alarme avec le rapport «Une citoyenneté réprimée» qui documentait cent cas de répression anti-association. Le non-respect d’un contrat républicain aux contours imprécis, entraînerait des sanctions telles que la suspension ou le remboursement des subventions, véritable mise à mort financière pour des associations déjà précarisées (perte des contrats aidés, etc.). Cela entraînerait aussi la perte d’un agrément indispensable pour agir en justice au nom des Français et de l’intérêt général, voire plus quotidiennement pour intervenir en milieu scolaire ou extrascolaire. Plus localement cela pourrait signifier le refus ou la perte d’accès aux espaces et équipements publics.

Le projet de loi, dans son article 8, élargit aussi les conditions pour prononcer la dissolution d'une association en remplaçant l'organisation de «manifestations armées dans la rue» par des «agissements violents contre les personnes et les biens», le terme d'«agissement» ouvrant là aussi un large champ d'interprétation. Il est également plusieurs fois fait état dans le texte (art. 18-223) d'«atteintes à l'intégrité psychique», notamment concernant les personnes dépositaires de l'autorité, ce qui n'est pas sans rappeler l'article 24 de la proposition de loi sécurité globale sur l'interdiction de diffuser des images des forces de l'ordre.

D'autre part, les commentaires sur les réseaux sociaux de personnes liées à l'association, et même de simples followers, seraient reconnus (art. L. 212-1-1) comme des éléments justifiant la dissolution d'une association, même si ces messages sont postés à titre personnel et alors qu'ils ne peuvent pas toujours être effacés. Cette disposition fait peser des risques de «déstabilisation» sur des associations ciblées par des campagnes malveillantes en ligne.

Comment ne pas voir dans ces lois sécuritaires l'expression d'une défiance généralisée à l'encontre des associations et groupements de citoyens organisés pour faire entendre leur voix et agir pour l'intérêt général ? Nous refusons que des associations soient arbitrairement dissoutes ou privées de financement sur des critères flous et infondés avec des possibilités de recours amoindries. Nous refusons également la stigmatisation que ce projet de loi fait peser sur des personnes de confession musulmane, en raison de leur croyance ou origines supposées, en laissant croire que ce texte de loi répondrait à des enjeux de sécurité ou de «vivre-ensemble». Nous refusons qu'un pouvoir politique impose une interprétation moralisante et autoritaire des «principes républicains» déjà parfaitement exprimés dans notre devise nationale.

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Le législateur français a construit au fil du temps des lois plus équilibrées qui ne demandent qu’à être appliquées. Nous surveillerons avec attention le débat parlementaire de ces prochaines semaines, tant sur le projet de loi séparatisme que sur la loi sécurité globale qui mobilise déjà largement, pour alerter les citoyennes et citoyens français sur cette dérive autoritaire que nous constatons avec effroi et inquiétude. Loin de contribuer à la sécurité et à la cohésion nationale, cette «loi séparatisme», si elle était votée, serait contre-productive et affaiblirait les principes républicains. Cette loi déstabiliserait l’ensemble des associations pourtant si essentielles face aux épreuves que nous traversons et pour notre démocratie.

Les signataires

Les associations : Appuii, Action Droit des Musulmans, Anticor, Attac France, Centre de Recherche et d'Information pour le Développement (Crid), Collectif des Associations citoyennes (CAC), Combat Monsanto, Coordination Pas sans nous, Fédération des Arts de la Rue, France Nature Environnement (FNE), Greenpeace, Groupe d'information et de soutien des immigrées (Gisti), Ipam, Immigration Développement Démocratie (IDD), La Quadrature du Net, Mouvement Roosevelt France, ReAct!, Le réseau Sortir du nucléaire, Ritimo, Syndicat de la magistrature, Syndicat des avocats de France, Tous Migrants, VoxPublic, Ritimo.

Les universitaires : Julia Cagé, professeure adjointe au département d'Economie de Sciences Po Paris, Serge Slama, professeur de droit public, Université Grenoble-Alpes, Marie-Hélène Bacque, professeure d'études urbaines, Université Paris-Nanterre, Romain Badouard, enseignant et chercheur en sciences de l'information et en communication, Université Paris-II-Panthéon-Assas, CARISM et Institut Français de Presse, Guillaume Gourgue, enseignant et chercheur en science politique, Université Lyon 2, Laboratoire Triangle, Marion Carrel, professeure de sociologie, Université de Lille-CeRIES, Karel Yon, chercheur en sociologie, CNRS, Université Paris-Nanterre et CERAPS (Université de Lille), Marwan Mohammed, chercheur en sociologie, CNRS, Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit à l'université Paris-Nanterre et directrice du Centre de recherches et d'études sur les droits fondamentaux, Julien Talpin, chercheur en Sciences politiques, CNRS, Vanessa Codaccioni, maîtresse de conférences en science politique à l'université Paris-8, Jean-Louis Laville, professeur du Conservatoire national des arts et métiers et chercheur au Lise (CNRS-Cnam), Marie-Laure Basilien-Gainche, professeure de droit public, Université Jean-Moulin-Lyon-3, membre honoraire de l'Institut Universitaire de France, membre de l'Institut des Migrations, Sébastien Milleville, maître de conférences en droit privé, Université Grenoble-Alpes, Charles-André Dubreuil, professeur de droit public, Université Clermont-Auvergne, Diane Roman, professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne.

Les avocat·es: Nabila Asmane, Nabil Boudi, Vincent Brengarth, William Bourdon, Emmanuel Daoud, Raphaël Kempf, Adélaïde Jacquin, Stéphane Maugendre.

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